ASSOCIATION ECRIVAINS HUMANISTES DU BENIN

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NOTE DE LECTURE SUR «Ces gens-là sont des Bêtes Sauvages» de Gaston Zossou

 

<<Toute ma vie, la peur fut ma compagne fidèle. Elle demeurait accrochée à mon âme comme une sangsue. Elle jouait à fondre sur moi sous différents masques affreux : les peurs de mon enfance confrontée aux choses dans l’ombre ; la peur de la déchéance, quand j’avais été expulsé de la mission ; la peur des forces ennemies qui fouinaient partout ; du temps où j’étais égalitariste amateur ; la peur d’être humilié par un de ces polissons qui étaient confiés à mes soins, quand je me faisais percepteur pour une pitance ; la peur des intrigues de mes camarades de cachettes, du temps où j’avais basculé dans la clandestinité ; la peur….>>

Ainsi s’exprime Amila Lanta, le héros narrateur, dans Ces gens-là sont des bêtes sauvages de Gaston Zossou.

Après son premier Roman, la guerre des choses dans l’ombre, paru aux  Editions Maisonneuve et Larose, 2004 à Paris, et ayant accroché le lectorat béninois par sa thématique relative aux réalités endogènes de l’Afrique, Gaston ZOSSOU publie en juin 2008, aux Editions Riveneuve, un deuxième roman intitulé : Ces gens-là sont des bêtes sauvages. Un roman dont il campe encore résolument le décor dans les couloirs sombres de l’Afrique; dans les revers de l’Afrique, comme pour dire qu’il  a délibérément choisi son chemin, son univers littéraire, et qu’il pense aller dans le prolongement de la ligne droite qu’il s’est tracée dans le premier roman, la guerre des choses dans l’ombre.

 

Une douloureuse vie en trois phases

           Ainsi, Ces gens-là sont des bêtes sauvages relate les tourments d’Amila Lanta, le héros narrateur et l’unique fils resté en vie de Joseph Lanta, héros du premier roman, dont la mémoire est évoquée, principalement aux pages 82 et 83.

Ce roman d’un volume de 253 pages, à la teinte autobiographique et subdivisé en vingt quatre chapitres tous titrés, pourrait être structuré en trois parties correspondant aux diverses phases de la vie du héros narrateur.

Dans les chapitres 1 à 10 ce dernier raconte sa vie à la mission  catholique au sein des prêtres, d’abord comme élève et ensuite comme moniteur aspirant à la charge d’évêque. Mais il a été très tôt déçu par le père directeur qui l’a expulsé de la mission catholique. Il s’est alors retrouvé confronté aux dures réalités du pays, où il doit lutter pour la survie.

Du chapitre 11 au chapitre 18, Amila Lanta rappelle les nombreuses péripéties de sa vie de militant au sein <<du parti des égalitaristes>> ;  il nous parle de son dévouement, de son activisme mais aussi de ses déboires. Il a été en prison et s’est retrouvé au milieu de bon nombre d’autres <<égalitaristes>> avec qui les relations n’étaient  pas pourtant au beau fixe. Il réussit à s’évader de la prison et à s’exiler vers le pays d’à côté grâce aux intelligences conjuguées de Hlakoka et de Aklassato, ses deux codétenus. Une évasion rocambolesque ; une évasion de tous les scénarii et de toutes les stratégies ; une évasion de toutes les ruses et de toutes les intelligences ; de tous les risques et périls ; une évasion de tous les courages et de toutes les audaces, où le trio a le même esprit, la même pensée et respire au même rythme. C’est une évasion de toutes les confiances pour une nouvelle vie, peut-être.

Les chapitres 19 à 24 racontent cette nouvelle vie, ce nouveau départ où le héros rencontre encore d’autres difficultés, d’autres défis, d’autres goulots d’étranglement, tels que, les guerres qui font déplacer massivement des populations d’un pays à un autre, les dérives sociales, les conflits politiques et tribaux qui compromettent dangereusement le développement de l’Afrique contemporaine. L’amère expérience faite lors de son exil dans un pays voisin, lui a fait prendre conscience que le mal, l’ignorance, la méchanceté, l’horreur, la haine, la violence et la pauvreté sont monnaie courante sous tous les tropiques africains.

 

Ces africains ennemis d’une Afrique prospère

 

Ces gens-là sont des bêtes sauvages apparaît ainsi comme une satire de la société africaine des années 70. De nombreux problèmes y sont posés et peuvent se résumer en deux mots : le mal et le manque d’humanisme. Le mal a élu domicile dans l’esprit de l’homme, qu’il soit grand ou petit. Même la sorcellerie, cette puissance redoutable du mal qui est la chasse gardée des personnes âgées dans les temps ancestraux, se retrouve malheureusement, de nos jours jours chez les petits enfants. Dans les écoles comme dans les quartiers de ville, la chose est répugnante, mais réelle. En témoigne  l’aveu du petit écolier sorcier à son maître, dans le titre petit fragment étoilé : « Mon nom de vol est petit fragment étoilé. Je suis un agréé des azurs ténébreux… Je suis un initié plein, un sorcier de grade terminal, un volatile à douze paires d’ailes. Mon autonomie de vol est d’un temps infini… Je suis partie prenante du festin macabre. » P.38.

            Ce roman explore la somme de maux qui gangrènent les milieux politique, religieux, économique et social africain des indépendances à nos jours. Que ce soit à l’école, à l’église, en politique ou en prison,  c’est le même monde ; celui où le bien reçoit comme récompense le mal : c’est  la règle du jeu, c’est l’endroit et l’envers. Le mal et l’adversité sont partout présents, et l’idée de nuire à autrui est permanente dans l’esprit de l’homme. La belle preuve en est que Amila Lanta a été éjecté de la mission catholique par les soins du père directeur, et envoyé méchamment en prison, dix  ans plus tard par les manigances du très renommé chef égalitariste Léta Naka. Tout son parcours n’a été que du fiel, fait de désillusion amère et de déception. Dans son exil, Amila croyait pouvoir vivre désormais une nouvelle vie et s’épanouir dans une société plus juste. Mais sa foi au progrès, sa lutte contre l’obscurantisme et son rêve de voir l’Afrique décoller se sont effrités face aux dures réalités de la terre d’accueil. Comme quoi, le vent qui souffle dans son pays, est le même qui souffle dans le pays voisin. Ayant alors le sentiment d’être seul, sans le moindre secours dans ce monde déshumanisé, il se rend à l’évidence que les maux qui maintiennent  l’Afrique dans les chaînes, résident dans l’esprit des Africains. Ainsi, « ces bêtes sauvages »ne sont rien d’autre que les enfants malades de l’Afrique ; tous ces Africains au cœur chargé de haine et de méchanceté ; ces ennemis du progrès, qui ne savent que se réjouir de l’ennui et de l’échec  d’autrui, et qui font obstacle à tout développement, à toutes bonnes œuvres et à l’humanité, par des pensées et des pratiques odieuses. Mieux, Ces gens-là sont des bêtes sauvages témoignent bien de l’atmosphère viciée et ensorcelée de l’Afrique ; atmosphère de toutes les méfiances, de tous les soupçons, de toutes les vicissitudes, de tous les sortilèges, de toutes les négations et de toutes les ignorances. 

        Ce roman est  un véritable chef-d’œuvre littéraire par sa thématique et par le regard objectif que Gaston Zossou porte sur les changements sociopolitiques du Bénin et de l’Afrique post-coloniale. Par un style et une écriture de maître, il  fait le diagnostic des maux qui minent l’Afrique, ce continent qui semble refuser toute émergence. Il a le mérite de faire conduire ce roman à long souffle, par un personnage de grand talent de conteur. Un personnage très brillant et très organisé dans son esprit qui, avec art, nous conte  sa vie de toutes les tribulations, de toutes les incertitudes et surtout de toutes  les peurs. Et toute la saveur de cette belle œuvre de grande profondeur, réside dans la confession de son talentueux héros narrateur qui s’exprime en ces termes : «Bien que ces gens soient méchants, je voudrais qu’ils vivent, poursuivit –il… ». p. 197.

      Et pour finir son œuvre, l’auteur contre toute adversité, toute méchanceté et toute haine, inhérentes à l’existence humaine, préconise comme remède : l’amour et le pardon.

Avec ce roman, Gaston Zossou confirme sa place parmi les nouvelles voix de la littérature africaine.

                                                                              Cotonou, le 02 juillet 2012

 

                                                                               Robert ASDE

 

 



25/07/2012
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