ASSOCIATION ECRIVAINS HUMANISTES DU BENIN

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Note de lecture sur «Crabe de métal pur» de Gaston Zossou

«Crabe de métal pur», 2008, Editions Riveneuve. La quatrième œuvre de Gaston Zossou met encore à l’index, la dimension d’une thématique entre-temps au cœur de ses trois premiers livres: L’écrivain y parle encore de l’Afrique et des Africains aux pratiques exécrables. 

En effet, cette quatrième œuvre du célèbre écrivain béninois retrace la migration du mal depuis l’Afrique traditionnelle de nos sortilèges jusqu’au monde moderne.

Rédigé dans un français facile, agréable à lire et découpé en 20 chapitres, les uns aussi exaltants que les autres, «Crabe de métal pur», en tant que troisième roman de l’auteur, se présente lui aussi, comme un tableau sombre de l’Afrique prise dans l’engrenage des forces occultes. Il révèle à travers 274 pages, une quête longue et pénible sur la véritable destinée d’un jeune paysan du nom de Aklo, le héros de l’œuvre, et pourrait être structuré en trois séquences suivant les faits vécus par ledit héros.

Les actions se déroulent dans un village de l’Afrique dénommé Tchaada, avec le jeune paysan Aklo et ses compagnons Agbé, Aditi, Gouton, Goudjèman, pour ne citer que ceux-là. Dans les six premiers chapitres, le narrateur parle de Aklo et de ses acolytes à travers les travaux champêtres, les parties de chasse sans oublier ses sorties nocturnes avec son grand père Agbozo.

Le danger

Ce cercle d’amis très solidaires, labourent ensemble les champs et s’entraident ; vivent ensemble les moments forts des battues, et finissent souvent autour des repas et des pots de vin de palme, jusqu’au jour où surgit le mal. Aklo, le jeune paysan a l’habitude d’assister, dans le secret des nuits noires, à la croisée des chemins, son grand- père Agbozo aux rituels de koudio ; pratique maléfique, qui permet au vieil homme, chaque année, de rejeter l’ombre de la mort sur les jeunes gens, de troquer la mort contre la vie, de se rajeunir et de prolonger sa vie, grâce aux bains nocturnes, dont il est le seul détenteur du secret. Mais une nuit, dans le rituel de bain d’esquive de la mort (koudio), les anges de la mort ont malheureusement frappé Gouton, cousin, confident et meilleur ami de Aklo. Les villageois très avertis de ces pratiques occultes, ont tôt identifié les responsables de la mort du jeune Gouton. Agbozo a été mis à mort et Aklo, contraint à l’exil pour sauver sa tête.

Du pointu au tranchant

Du chapitre 7 au chapitre 14, le narrateur relate l’exil du jeune Aklo vers la ville, où il atterrit chez son cousin Sinha, qui lui propose de s’établir définitivement dans cet endroit et d’apprendre le métier de barbier. Aklo fait la connaissance de nouveaux compagnons, qui sont des apprentis coiffeurs comme lui-même. Ses premiers jours dans l’atelier de coiffure étaient très difficiles à vivre, parce que marqués par des espiègleries, des bizutages, des persécutions et des humiliations de la part desdits nouveaux vilains compagnons. Finalement, Aklo se retrouve dans leur bonne grâce et est considéré comme le sage de l’atelier au point où, lorsqu’il est question de réaliser des fétiches d’attirance pour pallier la raréfaction de la clientèle, la faim et la misère quotidienne, c’est Aklo, qui, en maître de cérémonie, a conduit de bout en bout le rituel. Aklo et ses amis vont alors bénéficier de la providence divine par le biais d’un client, qui leur a offert une forte somme d’argent, de quoi équiper l’atelier - que leur a légué leur patron- tombé en décrépitude, et améliorer ainsi leurs conditions de vie. Un nouveau vent d’espoir souffle à travers cette aubaine, comme pour éclairer le destin compromis de Aklo et lui promettre une nouvelle vie, toutefois jonchée d’obstacles.

Les chapitres 15 à 20 racontent les péripéties et les coups de théâtre d’une telle vie. Et comme si le mal ne pouvait s’éloigner de lui, Aklo, sera jeté en prison, dans la République de Wouyawouya (une zone anglophone de l’Afrique), pour être à la suite conduit sur une plage ou l’on exécute les condamnés à mort. Il a en effet, été victime d’un complot et assimilé à tort à un assassin. Il devrait être fusillé avec la complicité de la foule ignorante sur la berge criminelle, quand l’intervention énergique et miraculeuse d’un commandant gradé, arrêta nette la machine infernale mise en marche pour sa mise à mort. Il échappe donc de justesse à la mort. On découvre plus tard le complot et les manigances des forces de l’ordre, contre sa personne. Aklo fut sauvé et recouvre la liberté. En guise de dédommagement, une forte somme d’argent lui a été remise par les Autorités de la République de Wouyawouya.

Aklo revient donc aux siens, qui l’accueillent avec joie. Ils expriment leur reconnaissance à Dieu et relancent leur atelier. Aklo a retrouvé Abla, la jeune plantureuse paysanne de ses rêves, et ils se promettent une vie d’ensemble, une vie d’amour, une vie de joie, une vie de partage et de bonheur.

Le parcours tourmenté de Aklo prouve que le mal dénoncé et décrié par l’auteur est hélas omniprésent en Afrique. Aklo s’est exilé du village, malgré lui, à cause des pratiques obscures de son grand père. Il se retrouve en ville et rencontre encore le mal sous d’autres formes plus sauvages, plus méchantes, plus têtues et plus raffinées. Pour lui, c’est qu’il a quitté le pointu pour le tranchant. Le risque et le péril sont partout présents. Et la vie en communauté devient un exercice difficile ; partout, l’homme se trouve dans les chaînes, dans les fers et enfers. C’est un véritable piège sans fin. Aklo, au village comme en ville de la même République a subi les pires humiliations et persécutions des humains ; et dans une autre République du même continent, il a vécu la plus grave injustice : la séquestration et la condamnation à mort. Il n’a eu la vie sauve que grâce à son hurlement sur le cocotier d’exécution : « Hoklohoo… hoklohoo… hoklohoo !!! » p.230. Un cri magique, un cri faiseur de miracle, un cri qui rétablit la vérité et qui rend à l’innocent sa liberté ; un cri du salut, donc !

Le vrai problème de l’Afrique

«Crabe de métal pur» est une œuvre qui vient encore confirmer que le vrai problème de l’Afrique, c’est l’Africain. Le ver est dans le fruit. Or l’Afrique devrait divorcer d’avec toute tare et toute pratique avilissante pour son décollage. Elle a déjà suffisamment de problèmes pour qu’on lui en crée davantage. La misère, les maladies, les échecs, les incertitudes, les déceptions, les trahisons et la peur des forces du mal, constituent le lot quotidien de bon nombre d’Africains. Aklo a fui les forces maléfiques du village et constate, hélas, qu’il y a encore pire que la sorcellerie en ville: l’injustice qui peut coûter la vie à l’innocent, les complots, les manigances, la corruption, et surtout la peine de mort, cette pratique odieuse qui consiste à fusiller en direct un humain attaché à un bois comme une bête de somme. On aura tout vu en Afrique; tout d’horreur, tout de répugnant et d’inexplicable.

L’amour… plus grand que tous les maux

Heureusement qu’il y a un Dieu qui gouverne sa création, un Dieu sage qui protège et qui bénit. C’est sous la bénédiction de ce Dieu protecteur et providentiel que Aklo a pu connaître un dénouement heureux. C’est grâce à ce Dieu suprême qu’il a pu trouver le chemin de bonheur pour redonner un sens à sa vie. Tout n’est alors pas que noir dans «Crabe de métal pur». Tout n’est pas que sortilège, barbarie et sauvagerie ; tout n’est pas que haine et méchanceté ; et tout n’est pas qu’horreur et injustice. Mais il y a aussi dans l’univers romanesque de Gaston Zossou une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux êtres si imparfaits et si imprévisibles. Le roman s’achève sur un récit intitulé, l’aurore de mon soleil dans lequel Aklo trouve sa raison et sa joie de vivre dans l’amour qu’il a pour la jeune fille Abla : « Je jure par tous les dieux que je resterai fidèle à mon serment et que tu seras ma seule compagne jusqu’à la tombe.» p.273. C’est l’heureux dénouement de la vie et de la destinée d’un miraculé à la suite des défis qui ont jalonné tout son parcours. Comme quoi, l’amour est au dessus de tout et est plus grand que tous les maux dont souffre l’Afrique. C’est d’ailleurs pourquoi l’auteur, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain, fait écho des valeurs telles que, la solidarité, l’entraide inhérente à l’Afrique, l’amour et enfin le bien qui finit toujours par triompher du mal. N’est-il pas alors grand temps que les Africains sacrifient la perversité à l’autel de l’amour pour le rayonnement de l’Afrique?

«Crabe de métal pur», comme titre ne renseigne pas, hélas le lecteur sur le contenu de l’œuvre. Il faut la parcourir pour découvrir toutes ses richesses. Ce roman est intéressant par son style qui accroche ; son mode de narration et des discours ponctués de proverbes, de paroles fortes et riches en incantations. On y trouve plein d’expressions rappelant la sagesse du patrimoine culturel africain. On y trouve aussi plein de noms africains évocateurs de pouvoir. C’est le cas de Aklo, le héros dont le nom signifie pirogue, cette barque étroite et plate, mue à la pagaie ou à la voile et destinée à toujours rester à la surface de l’eau, synonyme de victoire. Ainsi, Aklo a pu sortir sain et sauf des labyrinthes et périls qui ont secoué sa vie comme l’indiquent la signification et le pouvoir évocateur de son nom. En outre, l’auteur ne manque pas de prétexte pour substituer à la narration ou à la description, la réflexion et l’analyse.

Par cette œuvre de 28000 mots, révélatrice de talent, du génie et du travail, Gaston Zossou mérite le respect de son lectorat.

 

 

                                                Cotonou, le 16 juillet 2012
                                               Robert Asdé
                                             de l’Association Aiyé Culture.

 



17/08/2012
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